/lit/ - Literature

>>17038815
Il y a dans chaque parking une présence invisible qui observe celui qui y marche seul. Ces espaces si refermés sur eux-mêmes, si fonctionnels communiquent à l'individu le sentiment de sa responsabilité et donc de sa conscience morale. L'homme qui marchait ce soir là dans le parking Saint-Michel se justifiait ainsi sa démarche rapide et de ses coups d'œils inquiets : son regard désaxé et virevoltant était celui d'un lézard dans un nuage de mouche. Il n'avait pas beaucoup de souci à se faire, le parking était désert et sa petite taille aurait pu faire croire à un éventuel observateur qu'il n'était qu'un enfant qui se dépêche de retrouver ses parents. Mais il est des entreprises qui ne réussissent que dans la solitude et, à l'acmé de l'action, c'est le bras, non le corps, qui frappe.
L'homme s'était arrêté devant une voiture beige. Après un dernier regard nerveux, il sortit une scie de son long anorak et se faufila sous la voiture. Son gabarit le cachait derrière un pneu, une ombre parmi les ombres. Pendant quelques minutes le bâtiment fut remplit de ces sons si caractéristiquement produit par le le frottement répété et régulier d'une scie à métaux sur la barre de direction d'une voiture cinq portes, quiconque a déjà eu la chance d'écouter ce chant du métal peut témoigner de la puissance des trémolos qui disent "tu rompras, mais pas trop tôt, tu rompras au troisième mouvement, celui où l'ange terrasse la bête".
Et puis le silence à nouveau. L'homme s'extirpa de sous la voiture, épousseta son manteau et s'éloigna. Il se murmurait à lui même: "Nous verrons, Albert ! Nous verrons bien si tu es aussi beau après être rentré dans un platane ! Tu ne te moqueras plus de moi avec ton nez à l'envers et tes chicots. Et tout le monde saura à quel point tu es insipide et si peu original. Encore quelques accidents comme ça, et ce sera moi le plus beaux de tous les philosophes français ! Jean-Paul Sartre : dernier des philosophe, grand lanceur du cubisme physionomique, je serai leur modèle à tous ! Et j'aurais toutes les femmes ! bon voyage Albert !".